jeudi, juillet 20, 2006

Robert Fisk en Français!

La paix passera par Damas
Pour Robert Fisk, la crise actuelle a été imaginée par le pouvoir syrien. Sans doute en vue de revenir au centre de la scène proche-orientale.


C’est une affaire syrienne. Voilà l’effrayant message qu’a émis Damas le 12 juillet, lorsqu’il a autorisé ses alliés du Hezbollah à franchir la Ligne bleue des Nations unies au Sud-Liban, à tuer trois soldats israéliens, à en capturer deux autres et à exiger la libération de prisonniers libanais incarcérés en Israël. En quelques heures, ce Liban qui avait commencé à croire à la paix s’est une fois encore retrouvé en guerre. Israël a attribué la responsabilité de ces incidents au gouvernement libanais, comme si celui-ci, impuissant et miné par les dissensions confessionnelles, était en mesure de contrôler le Hezbollah. Fouad Siniora, l’affable Premier ministre libanais, a peut-être eu l’impression qu’il dirigeait son pays, mais c’est en réalité le président Bachar El-Assad qui, depuis Damas, peut aujourd’hui encore décider du sort du Liban.
Et la Syrie a fait un pari sans risque : à savoir que, malgré toutes les menaces d’Israël, qui affirme vouloir “faire mal” au Liban, cette nouvelle guerre va échapper à tout contrôle jusqu’à ce que – comme cela s’est souvent produit dans le passé – Israël lui-même propose un cessez-le-feu et libère un certain nombre de prisonniers. Alors, les grandes puissances feront leur entrée en scène, prendront le chemin de la véritable capitale libanaise – Damas, et non Beyrouth – et lanceront un appel à l’aide.
C’est probablement le plan envisagé. Mais fonctionnera-t-il ? Israël a menacé les infrastructures toutes neuves du Liban, tandis que le Hezbollah affirme vouloir durcir ses actions contre Israël. Et c’est là que réside le problème : pour frapper le Hezbollah, Israël doit envoyer Tsahal au Liban, auquel cas elle perdra d’autres soldats. L’attaque du Hezbollah, qui a sans conteste enfreint les règles des Nations unies au Sud-Liban – Geir Pedersen, haut responsable de l’ONU au Liban, l’a qualifiée de “violation grave” de la Ligne bleue –, devait forcément attirer les représailles de l’aviation, de la marine et des chars israéliens sur ce pays fragile et dangereux. A Beyrouth, de nombreux Libanais ont été scandalisés de voir des bandes de partisans du Hezbollah sillonner les rues de la capitale en brandissant le drapeau de leur formation afin de “célébrer” l’attaque menée sur la frontière.
Les membres chrétiens du gouvernement libanais ont exprimé leur frustration grandissante devant les menées de la milice musulmane chiite, ce qui n’a fait qu’illustrer l’impuissance de l’administration beyrouthine.
A la tombée de la nuit, les raids aériens israéliens touchaient l’ensemble du pays – les premières victimes civiles ont trouvé la mort lorsqu’un appareil israélien a détruit un pont sur une petite route à Qasmiyeh –, mais vont-ils aller plus loin encore et frapper un objectif en territoire syrien ? Il s’agirait là de l’escalade la plus grave enregistrée jusqu’ici, devant laquelle les diplomates des Etats-Unis comme de l’ONU seraient contraints d’en appeler à un concept bien connu mais quelque peu usé : la “retenue”.
Il est probable que tout cela se terminera par de simples échanges de prisonniers. En janvier 2004, par exemple, Israël avait libéré 436 prisonniers arabes et restitué à leurs familles les dépouilles de 59 Libanais en échange de la libération d’un agent israélien et des corps de trois soldats israéliens.
En 1985, trois soldats israéliens capturés en 1982 avaient été échangés contre 1 150 prisonniers libanais et palestiniens. C’est pourquoi le Hezbollah sait pertinemment, tout comme Israël, comment se déroule ce jeu cruel. Ce qui est plus important, c’est de savoir combien de personnes vont mourir avant que ces échanges puissent avoir lieu.
Le 12 juillet, le porte-parole du Hamas au Liban a nié toute action concertée entre son mouvement et le Hezbollah. Au sens strict, c’est peut-être vrai, mais il n’en demeure pas moins que le Hezbollah a lancé son attaque à un moment où l’opinion arabe assiste avec amertume à la mise en place des sanctions internationales contre le gouvernement démocratiquement élu du Hamas et aux opérations militaires israéliennes à Gaza. Le Hezbollah essaiera vraisemblablement de profiter de cette colère. Enfin, il reste une dernière et inquiétante question. Autrefois, lors d’explosions de violence analogues, le pouvoir syrien était contrôlé par Hafez El-Assad, l’un des dirigeants arabes les plus intelligents de l’histoire moderne. Or beaucoup de gens – dont certains politiciens libanais – estiment que son fils Bachar n’a ni la sagesse ni la compréhension du pouvoir qu’avait son père. N’oublions pas que la Syrie est un pays dont le propre ministre de l’Intérieur se serait suicidé l’année dernière, et, à la même époque, les soldats syriens ont dû évacuer le Liban alors que Damas était soupçonné d’avoir commandité le meurtre de Rafic Hariri, l’ancien Premier ministre libanais. Tout cela peut paraître aujourd’hui sans objet. Mais une chose est sûre : Damas, comme toujours, reste la clé de tout.
Robert Fisk The Independent