lundi, juillet 17, 2006

Paname en Rosbif

COURRIER INTERNATIONAL


HISTOIRE DE PARIS • La face cachée de la Ville lumière
Raconté par un érudit britannique, le passé de la capitale française apparaît comme une longue suite de massacres et de scènes de débauche. Son livre est encensé par la presse anglophone, qui fait le lien avec les émeutes de l'automne 2005 dans les banlieues pour conclure que "Paris n'échappera jamais à ses démons".

"Paris est peut-être la ville préférée du monde mais, parmi les 25 millions de visiteurs qu'elle reçoit chaque année, peu nombreux sont ceux qui se rendent compte que ses jolies rues sont pavées de sang et de merde", écrit Time, qui a préféré laisser ce dernier terme en français dans le texte. Comme ses confrères anglais The Times et The Guardian, le magazine américain présente à ses lecteurs francophiles un nouveau livre, Paris : The Secret History (éd. Viking, 25 livres). Publié par Andrew Hussey, un universitaire britannique spécialiste de la littérature française, ce "pavé parisien de plus de 500 pages" est rempli d'histoires et d'anecdotes cruelles ou croustillantes.

"Hussey a écrit des livres sur Bataille et Debord, le chef de file des situationnistes. Il n'allait donc certainement pas compiler une histoire conventionnelle de Paris", explique The Guardian. "Ses sympathies vont bien plus à la classe ouvrière, aux ivrognes, bohémiens, décadents et flâneurs de Paris qu'à la cité des clichés de carte postale. Il s'intéresse plus à Belleville et aux Halles qu'à la 'grandeur stérile' de Versailles."

Il se montre également "réceptif aux zones érogènes de Paris", poursuit The Guardian. "Le Palais-Royal, raconte-t-il, était le lieu des plaisirs interdits durant la Révolution, tandis que la place Dauphine a toujours eu un attrait secrètement érotique, elle a même été appelée 'le clitoris de Paris'." Filant la métaphore et en bonne logique, Hussey qualifie d'ailleurs la capitale française de "vieille catin".

"Aucune autre ville au monde, à l'exception peut-être de Venise, ne mérite à ce point cette appellation", renchérit Peter Ackroyd sur un ton admiratif dans The Times. Ackroyd n'officie pas seulement comme critique de cette Histoire secrète de Paris, il a également été un de ses inspirateurs – et ce de l'aveu même d'Andrew Hussey – car il a lui-même publié une monumentale "biographie" de Londres, en 2000.

"Paris a toujours été un état d'esprit", constate Ackroyd après la lecture du livre de son collègue, mais, "dès le XIe siècle, Paris était aussi un 'labyrinthe puant' rempli de prostituées et de criminels". Le XIVe siècle parisien fait figure de "siècle satanique". "Les massacres se multiplièrent. Paris fut une ville de massacres. En moyenne, quinze citoyens étaient assassinés chaque nuit." Pendant les guerres de religion, les choses ne s'arrangèrent évidemment pas. "Il était alors communément admis que le diable apparaissait à ses disciples parisiens, et il avait certainement trouvé son royaume dans ce monde de mendiants et de voleurs."

"Le côté sombre triompha également durant la Révolution. Une fois de plus, Paris se transforma en une cité de sang. Et cela n'allait pas s'arrêter." Tout au long du XIXe siècle, "les citoyens de Paris se trouvèrent piégés par l'Histoire comme dans un cauchemar, un cycle d'insurrections et de contre-insurrections comme une roue de feu", résume Ackroyd. "La Commune de 1871 a déclenché la plus grosse boucherie urbaine de l'histoire de la ville. Quelque 20 000 Parisiens ont été tués par leurs compatriotes."

Ce passé couleur rouge sang nuance fortement l'image dominante de Paris comme cité des intellectuels ou du savoir-vivre. Et cet aspect de son histoire fait que "Paris a, depuis toujours, aussi été un endroit où ont régné l'inquiétude et le malheur". Il peut également expliquer la note pessimiste du débat actuel sur le déclin français, ajoute Ackroyd. "Paris n'échappera jamais à ses démons", écrit-il sur un ton péremptoire.

Quant à Andrew Hussey, son livre met en garde les Parisiens d'aujourd'hui contre "le danger de voir leur ville devenir un 'musée vide' pour les touristes et pour les riches", note Time. "Paris a atteint son intensité culturelle maximale lorsqu'elle s'est ouverte aux influences des migrants et des exilés. C'est sur leur héritage que la ville vit aujourd'hui. Les émeutes de l'automne dernier semblent indiquer que le vrai secret de Paris n'est plus dans son centre", commente The Guardian.

Quoi qu'il en soit, la face sombre de la Ville lumière méritait sans doute d'être ainsi exposée. Peter Ackroyd conclut dans The Times : "Hussey a réussi à redéfinir le caractère de Paris. Il contribue ainsi à faire vivre son mythe."

Marco Schütz