mardi, mars 13, 2007

Racisme institutionnel dans la police britannique


Le Monde

Est-il possible d'éradiquer le racisme au sein de la police britannique ? La mésaventure survenue à Ali Dizaei, un haut gradé d'origine iranienne de la Metropolitan Police de Londres, a relancé le débat sur la persistance, malgré les réformes, d'attitudes discriminatoires parmi les bobbies. Soupçonné à tort d'être un espion iranien par les services de sécurité britanniques, mis illégalement sur écoutes, filé dans tous ses déplacements, faussement accusé de viol, le superintendant musulman a été acquitté en 2003 par la justice. D'après son autobiographie, Not One of Us, publiée ces jours-ci, Ali Dizaei a été victime d'une affaire Dreyfus à l'anglaise, orchestrée par un groupe de policiers racistes de la "Met". Malgré sa relaxe, il n'a dû sa réintégration qu'à l'appui du ministère de l'intérieur, inquiet de l'impact de cette contre-publicité sur les efforts de recrutement de policiers issus de l'immigration de couleur. Au-delà d'Ali Dizaei, certains hiérarques de Scotland Yard visaient à déstabiliser la National Black Police Association, NBPA, dont il était le conseiller juridique. Cette association de lutte contre le racisme au sein de la police britannique avait été créée en 1999, à la suite du meurtre, cinq ans plus tôt, de Stephen Lawrence, un étudiant de 18 ans d'origine jamaïcaine, assassiné par cinq jeunes Blancs. Le rapport MacPhearson avait dénoncé le "racisme institutionnalisé" pour expliquer le laxisme des inspecteurs chargés d'élucider ce lynchage par des nazillons, relâchés faute de preuve. "Notre association n'a rien à voir avec la couleur de la peau proprement dite mais est ouverte à tous ceux qui se sentent victimes de racisme. Grâce à la législation antidiscriminatoire, la situation s'est améliorée, mais il y a encore beaucoup à faire", déclare un porte-parole de la NBPA, forte de 2 000 policiers. Des réformes ont été engagées par la police londonienne, en particulier la création d'une force auxiliaire d'îlotiers largement ouverte aux minorités ethniques. Reste que sur ses 30 000 policiers, la Metropolitan Police, chargée du Grand Londres, ne compte actuellement que 268 bobbies de confession musulmane. Or sa zone d'intervention comprend 600 000 musulmans. A ce jour, une seule force régionale, celle du Kent, sur les quarante-trois que compte le Royaume-Uni, est dirigée par un non-Blanc. L'un des grands obstacles à l'intégration des musulmans au sein de la police britannique est sa culture très particulière, dominée par le pub, la cantine et, pour beaucoup de ses membres, par les loges maçonniques, peu accueillantes aux immigrés de couleur. Ali Dizaei ne boit pas d'alcool et ne mange pas de porc, viande qui fait l'ordinaire du restaurant des commissariats. Par ailleurs, très marquées à droite, les Loges, actives au sein de la police et de la justice, sont fermées aux catholiques comme aux musulmans. S'ajoutent les réticences des parents de jeunes issus de l'immigration de voir leurs rejetons doués embrasser la carrière de policier, préférant les professions jugées plus accueillantes, comme la finance, la médecine ou le droit. A l'instar de l'armée, de la monarchie ou de la justice, la police reste perçue comme un bastion du vieil ordre impérial blanc. Enfin, l'accent mis par le gouvernement travailliste sur la lutte antiterroriste décourage bon nombre de recrues potentielles. Comme l'indique Yasmine Alibaï-Brown, chroniqueuse à The Independent, "les jeunes musulmans ne veulent pas se transformer en bras armés de la politique de Tony Blair contre leurs coreligionnaires". Malgré la controverse, l'affaire Dizaei doit être mise en perspective, comparée aux énormes progrès réalisés ces dernières années, insiste John Azah, le responsable du groupe indépendant créé par Scotland Yard pour veiller à l'avancement des gens de couleur. Marc Roche