L'invité du Courrier International:
RAIMUND LÖW - Une guerre civile entre musulmans
Journaliste et historien viennois, Raimund Löw dirige actuellement le bureau de l’ORF, la radiotélévision autrichienne, à Washington. Il publie régulièrement des analyses de politique internationale dans des revues européennes ou américaines.
Tony Blair et, avant lui, George Bush ont affirmé que les terroristes nous agressaient parce qu’ils “haïssent notre liberté” (Bush) ou qu’ils “veulent détruire notre mode de vie” (Blair). Ce n’est pas le mode de vie occidental qui est en jeu, mais l’influence américaine au Moyen-Orient. Oussama Ben Laden ne prétend pas hisser l’étendard vert du Prophète sur Westminster. Les bombes de Londres sont, dans la logique des djihadistes, des représailles contre l’engagement de Tony Blair aux côtés de George Bush dans la “guerre contre le terrorisme”. Elles n’ont donc pas grand-chose à voir non plus avec les problèmes d’intégration des musulmans en Europe ou aux Etats-Unis. Les fantassins de cette guerre viennent peut-être de mosquées intégristes de Hambourg, de Londres ou de Madrid ; mais c’est pour l’Irak, l’Arabie Saoudite et l’Egypte qu’ils se battent, des pays que l’Occident démoralisé finira par abandonner aux fanatiques, qui pourront alors imposer des régimes dignes des talibans. Le journaliste anglo-américain Christopher Hitchens, qui s’est fait de nombreux ennemis par son vigoureux soutien à la guerre en Irak, voit dans les attentats de Londres non un “choc des cultures” prétendument inévitable, mais les conséquences d’une guerre civile entre musulmans : un mouvement d’extrémistes fondamentalistes fascistes s’oppose à l’ensemble du spectre religieux de l’islam, en particulier aux cliques au pouvoir dans la région. De façon caractéristique, Edgware Road Station, site de l’une des explosions [du 7 juillet], est située dans un quartier à forte population musulmane. Les auteurs des attentats devaient savoir qu’il y aurait des musulmans parmi les victimes. Le message des terroristes était autant adressé aux musulmans britanniques qu’au reste du pays. Il ressort d’une étude réalisée pour The New York Times par le politologue Robert A. Pape que la grande majorité des 67 auteurs d’attentats suicides perpétrés par Al-Qaida entre 1995 et 2004 étaient originaires d’Arabie Saoudite (34) ou d’autres pays alliés des Etats-Unis comme le Maroc (12), la Turquie (4), l’Egypte (2) et le Pakistan (2). Pas un n’est issu d’Etats que Washington dénonce depuis des années comme favorisant le terrorisme, tels que l’Iran, la Libye, le Soudan ou l’Irak. Conclusion de Pape : sans les activistes venus de pays musulmans comptant une présence militaire américaine massive, Al-Qaida se retrouverait bien vite sans combattants.
Or, dans les années à venir, cette présence est vouée à se renforcer. En dépit de concessions envers ses alliés, la direction américaine reste fidèle à ses visées impériales. Quant à l’importance stratégique du Moyen-Orient, elle ne fera que croître, étant donné la réduction des réserves pétrolières. En Irak se profile une longue guerre contre une guérilla insurrectionnelle fondamentaliste. Quant aux régimes arabes pro-occidentaux, ils sont menacés de chaos révolutionnaire. Il est fort probable que cette “guerre civile entre musulmans” se poursuive, avec toutes les conséquences que cela peut avoir pour le monde occidental. La sécurité du territoire reste donc une question incontournable. Peut-être l’Europe verra-t-elle apparaître un train de mesures d’exception du type du Patriot Act américain, entraînant un élargissement considérable des compétences de l’exécutif. Avec chaque nouvel attentat, il devient plus difficile d’éviter les arrestations abusives et le développement de systèmes de surveillance hypertrophiés. Tout ce qui est fait au nom de la sécurité est pour ainsi dire inattaquable. Le maire de Londres lui-même, le travailliste Ken Livingston, qui défend avec une grande dignité la tradition d’ouverture au monde de sa ville, n’a plus rien contre la mise en service de nouvelles caméras de surveillance dans le métro. On peut malgré tout se demander si la ressemblance entre les menaces terroristes en Europe et aux Etats-Unis rapprochera effectivement les alliés, comme l’escomptent les conservateurs américains. La politique de Washington ne veut pas dévier du concept de la “guerre contre le terrorisme”. En Europe, en revanche, on rappelle avant tout que, chaque jour, les conditions de détention à Guantanamo et Abou Ghraib produisent de nouveaux combattants ennemis.
Raimund Löw
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